L'intense lobbying du secteur privé a fini par payer et par conduire les autorités à prendre en considération le potentiel d'opportunités de l'Afrique subsaharienne.
Si le Maroc a pris plusieurs longueurs d'avance sur ses voisins maghrébins en partant à la conquête de l'Afrique via les visites d'État du roi Mohammed VI, la création de hubs aériens, bancaires & Co, la Tunisie prend désormais acte du potentiel économique au sud de ses frontières. Khemaies Jhinaoui, ministre des Affaires étrangères, a déclaré, à l'issue des 48 heures de sommet Union africaine-Union européenne à Abidjan, que « la participation du chef de l'État au 5e sommet Afrique-Europe traduit la volonté de la Tunisie de s'orienter vers l'Afrique eu égard aux opportunités d'investissements et de coopération dont regorge ce continent ». En Côte d'Ivoire, Béji Caïd Essebsi a pu avoir plusieurs rencontres bilatérales, dont une avec Angela Merkel, laquelle a conduit à la concrétisation d'un nouvel accord portant sur une aide de 465 millions d'euros (dont 300 pour le budget de l'État). Angela Merkel en a profité pour fêter l'anniversaire du chef de l'État, 91 ans, le 29 novembre.
Le besoin d'Afrique des entrepreneurs tunisiens
Si les discours politiques regorgent du mot « Afrique » depuis plusieurs mois, notamment lors de la visite du Premier ministre français Édouard Philippe en octobre dernier, cela fait plusieurs années que de chefs d'entreprise se sont fédérés afin de peser sur le pouvoir politique, exigeant des liaisons aériennes, des facilités administratives, l'ouverture de représentations diplomatiques et économiques dans de nombreux pays africains… Tunisair a ouvert plusieurs lignes en 2017. Et en promet d'autres malgré une flotte qui ne compte que 27 appareils. La diplomatie itinérante devient un des mantras du ministre des Affaires étrangères. Et le chef du gouvernement, Youssef Chahed, n'hésite plus à se rendre en visite officielle dans des capitales africaines avec des délégations d'hommes d'affaires.
Cible : une classe moyenne de 900 millions d'Africains d'ici à 2040
Bassem Louki, PDG du groupe éponyme, est l'un des porte-drapeaux de ce cap vers l'Afrique. Son groupe réalise un quart de son chiffre d'affaires sur le continent. Afin de bousculer la classe politique – sept gouvernements se sont succédé depuis la révolution –, il préside le TABC (Tunisia Africa Business Council). Objectif : que les PME tunisiennes gagnent des parts de marché sur le continent. Et les visites se succèdent. Des missions d'hommes d'affaires se rendent à intervalles réguliers dans des pays afin de favoriser les échanges en B2B ainsi que de nouer des liens entre dirigeants politiques. Bassem Louki déclarait au Point Afrique, en mars dernier : « Nous nous sommes rendu compte qu'aucun gouvernement tunisien n'avait prononcé le mot Afrique. Nous nous sommes alors organisés en groupe de travail afin de pratiquer du lobbying, des actions concrètes sur le terrain, d'imposer au prochain gouvernement une stratégie africaine, une vision. » Un travail de longue haleine qui irrigue désormais la pensée politique. Sous Ben Ali, la corruption au très haut niveau de l'État empêchait tout développement au sud. Vint 2011. La chute de la dictature. Puis celle de Kadhafi. La Libye, très important partenaire de la Tunisie, fut un électrochoc. Ce marché, estimé à plus de 2 milliards de recettes par an pour les Tunisiens, a sombré dans un mauvais western. Alors, certains entrepreneurs ont compris qu'il fallait regarder plus loin, géographiquement plus bas.
Les atouts tunisiens face à l'avancée marocaine
Le savoir-faire tunisien est reconnu dans un certain nombre de pays d'Afrique. La matière grise, cette richesse voulue par le président Bourguiba, est très recherchée dans plusieurs domaines, notamment celui de la santé. Louki explique sans complexe : « Le Maroc nous a devancés de quinze ans. » Et de préciser : « Quand il a commencé à déployer sa stratégie africaine en encourageant Royal Air Maroc à développer des lignes pour faire de Casablanca un hub africain, nous, on pensait à autre chose. Quand le Maroc a poussé ses banques, notamment Attijari, à s'aventurer en Afrique, à racheter, à ouvrir, nous, on était sur une autre planète. Aujourd'hui, Attijari ou la BMCE sont devenues des banques panafricaines. Ça ne s'est pas fait en vingt-quatre heures. Ils ont développé une stratégie, en sont venus à bout, ça leur a pris dix à quinze ans. » Au lieu de se lamenter, lui et d'autres chefs d'entreprise ont décidé d'agir sur le moyen et long terme.
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