Diplômé de l’ISG, M. Slim Feriani, ministre de l’Industrie, a poursuivi ses études aux USA avant d’enseigner dans la prestigieuse école Business School pendant sept ans. Il a travaillé également au Royaume-Uni où il a accumulé de l’expérience en matière d’économie et de finances. Il a eu l’occasion de connaître le cas de plusieurs pays qui passaient par des crises financières et qui ont préconisé des solutions pertinentes. Nommé secrétaire d’Etat avant de devenir ministre dans le gouvernement d’Union nationale, M. Feriani accorde une importance capitale aux PME, à l’économie alternative, aux microcrédits et à la croissance. Interview.
Quelle est la stratégie du ministère de l’Industrie et des PME pour promouvoir le secteur industriel ? La stratégie du ministère de l’Industrie et des PME se base essentiellement sur quatre axes en comptant sur le partenariat avec les privés. En effet, les privés sont chargés, à notre sens, de produire la richesse. Les autres points de ladite stratégie consistent à améliorer la productivité du secteur industriel, promouvoir les porteurs d’idées et encourager les champions nationaux. Il s’agit aussi d’encourager les investissements dans l’infrastructure de base et d’accompagner les PME. L’un des éléments de cette stratégie est de promouvoir la Tunisie en tant que site d’investissement et de technologie. Ce sont des priorités nationales. Certaines personnes pensent que la Tunisie est un pays touristique et ne savent pas qu’il est aussi un pays industriel qui a plusieurs potentialités. Le ministère de l’Industrie, qui a une dizaine d’entreprises sous tutelle, est au service des PME et assure le contact direct. Certes, la stratégie précitée n’est pas exécutée quotidiennement, car on a d’autres activités à faire comme les visites sur le terrain, la participation aux conseils ministériels. Nous avons reçu, il y a quelques jours, 5 industriels pour connaître leurs préoccupations. Nous nous rendons également sur les lieux des entreprises pour discuter avec leurs dirigeants. En 6 mois, nous avons visité 10 gouvernorats. Parfois, en un mois nous visitons 3 gouvernorats ; d’autres fois, on ne visite qu’un gouvernorat par mois. En tout cas, le rythme des visites est bon. Il faut aussi mettre en exergue l’effort des autres institutions sous tutelle comme l’Innorpi, l’Apii, l’Afi, le laboratoire central, les technopoles qui ont fait du bon travail.
Vous êtes donc satisfait du travail de ces institutions ? Je ne peux pas dire que je suis totalement satisfait, mais j’ai des contacts avec les directeurs généraux et je sais ce que fait chaque institution. Je ne peux pas avoir une idée sur le travail de tout le staff. Un rapport d’évaluation est, en tout cas, effectué régulièrement pour connaître la marche de travail de ces institutions qui rendent un service important aux entreprises. Je dois gérer le capital humain et favoriser «la méritocratie ». Il faut valoriser le capital humain et le travail. Les résultats ne sont pas totalement positifs ou négatifs. Il y a des chiffres satisfaisants et d’autres qui le sont moins. On a constaté, par exemple, que la productivité a baissé, mais elle s’est améliorée par rapport aux 7 années précédentes. La croissance gagne des points avec 2.5% au cours des quatre premiers mois de cette année malgré des problèmes liés au phosphate et à la production du pétrole. Le gouvernement tablait sur une croissance de 3% d’ici à la fin de l’année. Si la croissance démographique n’a augmenté que de 1%, c’est grâce au planning familial et la Tunisie ne compte qu’environ 11 millions d’habitants, chiffre qui n’a rien à voir avec la population de certains pays africains qui dépasse les 20 millions d’individus.
Quels sont les moteurs de la croissance ? Les moteurs de la croissance sont la consommation, l’investissement et les exportations, en assurant plus de contrôle sur les importations. L’investissement n’a pas enregistré une grande croissance alors que le déséquilibre de la balance commerciale s’est creusé suite à de grandes quantités de produits importés. L’investissement a, quant à lui, été marqué par une stagnation. Il faut distinguer, quand on parle de croissance, ce qui est nominal de ce qui est réel. La balance commerciale s’est réellement détériorée et la consommation a sauvé la mise. L’inflation importée a pesé sur les échanges. Certes, le pouvoir d’achat des citoyens est érodé même si les majorations salariales ont été de 30%, mais on ne peut pas augmenter les salaires d’une façon incontrôlée. Il faut faire attention à la spirale inflationniste. Il est nécessaire de favoriser davantage les exportations et les investissements. La consommation a des limites. En outre, il faut encourager la consommation du produit tunisien et réduire les importations, notamment pour les produits de luxe. Je ne vois pas, par exemple, pourquoi on importe plusieurs marques de chocolat alors que notre produit est vendu sur les mêmes étals.
La dépréciation du dinar a-t-elle été bénéfique ? J’ai étudié la situation de plusieurs pays qui sont passés par une crise économique et j’ai constaté que, dans certains cas, la dépréciation de la monnaie peut secourir l’économie et la faire sortir de la crise. La dévaluation de la monnaie peut aider le pays à booster les exportations. Parmi les résultats positifs déjà enregistrés, on peut citer l’amélioration de la productivité de 20%, celle des exportations de 33% au cours des quatre premiers mois de cette année. Par contre, le taux d’intérêt (TMM) augmente sur le marché financier, ce qui a un impact sur le pouvoir d’achat des citoyens car la majorité des Tunisiens ont des crédits à rembourser pour l’achat de voitures, maisons et autres. Certes, des mesures exceptionnelles ont été prises en vue de réduire les importations de certains produits de luxe. L’objectif est de réduire le déficit de la balance commerciale. On a besoin de booster les exportations en s’inspirant des autres pays. Il est impératif également d’améliorer la productivité et la compétitivité des produits sur le marché international. Cette compétitivité ne peut être réalisée que par l’innovation et la créativité en favorisant les clusters et en optimisant les synergies. D’ailleurs, le programme de mise à niveau de l’industrie a été modernisé. On veut intégrer les entreprises dans l’industrie 4.0 qui se base sur la robotique et le numérique. Certaines entreprises sont déjà actives dans cette industrie de pointe dans les secteurs de l’aéronautique, l’habillement, l’automobile et les composants automobiles…
En fait, quels sont les secteurs phares de la Tunisie ? Les secteurs phares sont ceux de l’automobile et des composants automobiles, de l’aéronautique, l’industrie pharmaceutique, l’industrie militaire (notamment le textile technique). A Sfax, il existe déjà une unité de fabrication de frégates. D’autres secteurs phares peuvent être cités comme le textile-habillement et l’agroalimentaire (dont l’huile d’olive, les dattes, le concentré de tomates et l’harissa). La Tunisie est, d’ailleurs, classée comme l’un des dix plus grands pays dans le monde en matière de fabrication de tomate concentrée. On veut lancer des champions nationaux et internationaux pour tirer tous les secteurs vers le haut. On dispose actuellement de champions nationaux dans plusieurs secteurs comme celui des industries mécaniques et électriques qui ont réussi à exporter d’importantes quantités de produits vers le marché européen notamment. On travaille, actuellement, sur certains pays qui ont de grandes potentialités comme la Russie et surtout l’Afrique. Le tourisme peut très bien aider l’investissement dans la mesure où un touriste peut être un investisseur qui peut s’intéresser à notre pays. L’essentiel est de bien vendre l’image de la Tunisie à l’étranger. A noter que 92% du tissu industriel est composé de PME et nous sommes pour la ségrégation positive au profit des zones de l’intérieur du pays à travers la réalisation de zones industrielles, d’infrastructure et de toutes les commodités. Le ministère est un catalyseur et un facilitateur de création de projets. On facilite la tâche aux PME à travers les zones industrielles, l’approvisionnement en eau, en électricité, en favorisant aussi le financement alternatif.
Qu’en est-il du Fonds de promotion des PME auquel l’Etat a alloué 100 MD au cours de cette année ? Ce fonds est doté d’un budget de 400 MD sur une période de 3 ans, soit durant les années 2018, 2019 et 2020. Cette année, le budget y a consacré 100 MD. C’est pour la première fois qu’un tel fonds est créé. Il est destiné aux PME qui passent par des difficultés conjoncturelles et non structurelles. On donne à ces entreprises une deuxième chance pour se rétablir et sauver des milliers de postes d’emploi. Il s’agit essentiellement d’aider ces entreprises à rembourser les crédits contractés auprès des banques. Il est possible aussi d’aider ces entreprises à augmenter leur capital. On a constaté que plusieurs entreprises n’ont pas de fonds de roulement. La participation de l’Etat est considérée comme une garantie pour ces entreprises auprès des banques. Le fonds en question assure aussi l’accompagnement des dirigeants de PME. Cette année, on cible 150 entreprises, et on a déjà reçu une dizaine de dossiers jusqu’ici.
Comment promouvoir le site tunisien à l’étranger ? On est en train de lancer une opération de marketing pour le site tunisien avec la participation des organismes concernés comme la Fipa, le Cepex. Parmi les pays ciblés, l’Allemagne et le Sénégal. Nous pensons que la diaspora a un rôle important à jouer dans l’investissement. Un programme de 4 MD est mené avec la coopération allemande (GIZ) pour cibler 1.000 Tunisiens travaillant à l’étranger. Nous avons participé au forum économique en vue de promouvoir les relations avec l’Allemagne. Au Sénégal, nous avons présidé une délégation avec la participation des représentants de 40 institutions privées au forum tuniso-sénégalais. Nous avons visité également, par la même occasion, les entreprises implantées au Sénégal. En tout cas, on est fier des résultats réalisés jusqu’ici malgré les difficultés que connaît la Tunisie. Pour ce qui est du phosphate, par exemple, nous avons enregistré 10 milliards de manque à gagner à cause des arrêts de travail. Il faut tenir compte de la sécurité, de la stabilité sociale et politique pour réussir l’investissement. Les exportations ont évolué de 33% au cours des 4 premiers mois de cette année, sachant que l’industrie manufacturière occupe 90% et son évolution en matière d’exportations est de 30%. Le secteur des industries mécaniques et électriques représente 50% contre 25% pour le textile-habillement et cuir et chaussures. Les industries agroalimentaires occupent 10% des exportations. Les importations ont progressé de 21% pour la première fois depuis des années. Ces résultats sont le fruit des sacrifices et des efforts de toutes les parties prenantes. La machine économique commence à tourner.
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