Les difficultés de la gestion de l’activité à l’export incombent, en premier lieu, à des problèmes de ressources, s’agissant de la qualité des réseaux de données, de l’insuffisance des moyens financiers, de la rareté des ressources humaines compétentes et des coûts de prospection, d’organisation et d’adaptation des produits pour les nouveaux marchés jugés élevés Le renforcement du déficit de la balance commerciale est l’un des grands défis auxquels fait face le gouvernement actuel. Un déficit qui s’est aggravé davantage ces dernières années en raison de l’accélération du rythme des importations contre une décélération des exportations. Une situation due à des raisons extrinsèques, surtout avec les perturbations sécuritaires et sociales depuis 2011, mais aussi à des raisons intrinsèques ayant trait à l’écosystème de l’entreprise et aussi à sa capacité à s’internationaliser. Depuis fin 2017, une reprise des exportations a été enregistrée, bien qu’elle soit encore insuffisante pour combler le déficit commercial, mettant en exergue l’urgence d’une stratégie de développement des exportations. Une question qui a été longuement débattue, le 30 mai 2018, lors de la présentation d’une étude sur les freins et les obstacles à l’exportation, réalisée par le Cabinet Prodata et commandité par Conect International, en présence d’Omar El Behi, ministre du Commerce. L’étude qui a été menée sur un échantillon de 300 petites et moyennes entreprises tunisiennes a montré que 16,6% de ces entreprises réalisent ou ont réalisé dans le passé des opérations d’export. Ainsi, 61% des entreprises n’ont jamais fait d’export et n’envisagent même pas de se lancer dans une activité pareille. Des taux qui laissent réfléchir sur les raisons d’une telle réticence de la part des PME tunisiennes. Selon Tarak Cherif, président de la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect), la majorité des entreprises préfèrent travailler sur le marché local parce qu’il leur procure une position de confort. Mais cette attitude ne marche plus, selon lui, puisque l’ouverture de l’économie tunisienne implique la présence d’une grande concurrence, exigeant une plus grande ouverture à l’international de la part des entreprises tunisiennes. “L’export est une question vitale. Il faut attaquer l’export pour ouvrir le marché. L’administration doit intervenir pour réduire les contraintes, au niveau des procédures et du financement. Il faut que la diplomatie économique soit plus active pour créer plus d’opportunités. Nous voulons encourager l’internationalisation des entreprises. Mais nous avons besoin pour cela de la présence des banques tunisiennes à l’international, et surtout en Afrique, comme il est le cas pour d’autres pays voisins”, estime-t-il.
Faibles motivations D’ailleurs, l’étude relève que le développement de l’activité export a trait à deux volets, qui sont l’entrepreneur et l’environnement de l’entreprise. Au niveau de l’entrepreneur, ces raisons sont multiples mais relèvent surtout des débouchés pour la production, d’une réponse à l’exiguïté du marché local, d’un souci de diversifier les sources de revenus tenant compte de la crise qui sévit sur le marché local. Il s’agit également d’amortir à plus grande échelle les dépenses faites sur un premier marché, d’obtenir une meilleure rentabilité malgré les risques et l’accès difficile et d’exploiter des compétences acquises sur le marché local. On indique que l’entrepreneur cherche aussi à se frotter à des entreprises plus compétitives et apprendre à leur contact, à profiter de plus d’opportunités et à trouver un marché qui apprécie à sa juste valeur un produit et un service de bonne qualité. On souligne aussi que les entreprises qui ont développé une activité export sont motivées par l’amélioration du chiffre d’affaires (31,1%), la dévaluation du dinar (24%), la demande de l’étranger de leurs produits (23,3%), la stratégie de l’entreprise (9,8%) et l’aide de l’Etat (4%). L’étude relève que la culture export à la création de l’entreprise reste faible ou totalement absente. 15,7% seulement des entreprises interviewées affirment que l’activité export a été prévue dès la création, 73,2% indiquent que le marché local était la première cible avec l’objectif de démarrer l’export ensuite et 11% soutiennent que l’activité export n’a pas été prévue au départ mais est venue ensuite.
Problème d’accès D’après les résultats de l’étude, les difficultés de la gestion de l’activité à l’international succombent, en premier lieu, à des problèmes de ressources, s’agissant de la qualité des réseaux des données, de l’insuffisance des moyens financiers, de la rareté des ressources humaines compétentes et des coûts de prospection, d’organisation et d’adaptation des produits pour les nouveaux marchés jugés élevés. En deuxième lieu, il s’agit de problèmes de structure et de stratégie, manifestés par l’éparpillement de l’activité sur plusieurs marchés et plusieurs produits, de la taille insuffisante des entreprises pour accéder aux marchés ciblés et de l’absence d’une démarche claire pour obtenir de l’information sur les marchés ciblés. Les entreprises étudiées ont également relevé des difficultés liées à l’environnement local, à savoir l’instabilité sociale et économique, le cadre réglementaire dépassé et/ou inadéquat, le transport, la douane, le système bancaire, les lourdeurs administratives. Il s’agit également de la non-disponibilité de l’information, de mesures de soutien inappropriées, de l’absence d’une vision d’une stratégie nationale cohérente pour l’export et d’un problème de mentalité et/ou de culture. Au niveau du cadre légal et administratif, on déplore des lois caduques surtout celles réglementant le change, la douane et les implantations à l’étranger, l’absence d’une volonté marquée de changement et une administration bureaucratique et dépassée. Pour le transport, les faiblesses relevent essentiellement d’un manque de performances au niveau de la gestion des aéroports, d’une capacité insuffisante et une congestion occasionnant des coûts et des délais au niveau des ports. De même pour la douane, les entreprises interviewées indiquent que la confiance est absente entre les deux parties, estimant que le personnel est peu sensibilisé à l’urgence et à l’importance du temps pour l’opérateur au niveau des opérations dounaières ainsi que l’existence d’une nonchalance et une faible implication qui laissent planer un climat de corruption. Au niveau des banques, on indique que leurs tailles restent insuffisantes pour être performantes à l’international, sont souvent peu compétentes pour les crédits documentaires et ne prennent pas assez de risque pour soutenir les entreprises dans leurs projets de développement à l’international. De même pour les organismes de soutien dont le rôle se limite à la promotion plutôt qu’à l’assistance, prenant une démarche plus politique qu’économique. On estime aussi que leurs actions se chevauchent avec des manifestations mal organisées et ayant peu d’impact économique.
Environnement international Concernant les freins liés à l’environnement international, l’étude a abordé quatre volets qui sont l’image du pays, l’implantation, l’information et la coopération. Pour l’image du pays, on révèle que l’accès reste difficile parce que les entreprises tunisiennes n’ont aucune notoriété, avec un “Made in” valable seulement pour les marchés proches ainsi qu’une image low cost qui nuit aux produits à forte valeur ajoutée. On relève également des difficultés de s’implanter à l’international et à convaincre les clients qui préfèrent acheter dans leurs pays. Il s’agit aussi d’une méconaissance des différences culturelles et d’un manque d’information sur les marchés. Ajoutons à cela l’absence d’actions collectives, de consortium qui facilitent l’accès aux marchés étrangers. L’étude a mis l’accent sur le rôle des représentations diplomatiques qui doivent se doter de personnel compétent et qualifié, estimant qu’il y a un manque au niveau des ressources humaines et des moyens financiers. En réaction à ces données, Omar Behi, ministre du Commerce, a indiqué que le marché tunisien reste très petit et que les entreprises tunisiennes, en majorité des PME, n’ont pas d’autres choix que de s’orienter vers le marché international pour se développer. Il estime que le Conseil supérieur de l’exportation a pris, dans sa première réunion, certaines mesures évoquées par les recommandations de l’étude, mais il reste beaucoup à faire. Il a affirmé que le Conseil se réunira en juillet ou août prochains, indiquant que la digitalisation de l’administration a déjà commencé mais qui reste un grand chantier nécessitant assez de temps pour être réalisé, et est très important pour la lutte contre la corruption. “Nous avons des objectifs palpables. Au sein du Conseil supérieur de l’exportations, nous visons à réaliser une évolution de +18% des exportations d’ici 2020 pour atteindre 50 milliards de dinars contre 35 milliards de dinars en 2017”.
Le choix de l’Afrique M. Behi a également souligné que l’Afrique est un choix du gouvernement tunisien avec l’objectif de réaliser l’inclusion dans les groupements économiques africains. L’adhésion au Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) est prévue pour le mois de juillet prochain. De même pour la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedao) pour la signature de l’accord préférentiel en présence de son président. Il a indiqué que le manque de moyens financiers pèse très lourd sur la capacité des organismes d’appui pour jouer leur rôle pleinement ; de même pour les représentations diplomatiques à l’étranger qui ont des budgets faibles. Il a ajouté qu’il est très important de créer une haute fonction publique, comme en a parlé le chef du gouvernement auparavant, permettant de recruter des personnes compétentes, qui sont plus attirées par le secteur privé qui leur propose des salaires plus intéressants. En ce qui concerne le développement des exportations, elles ont évolué à un rythme perturbé depuis le début de l’année en cours. Selon le ministre, cette évolution est passée de +36% en janvier, à +42% en février, +33% en mars, +30% en avril et +10% seulement en mai. Une baisse qui laisse, selon lui, réfléchir sur les valeurs du travail puisque l’activité a considérablement baissé au mois de mai qui coïncide avec le mois de Ramadan. S’agissant du rôle de l’Etat, M. Behi affirme qu’il assume le rôle de facilitateur pour assurer un cadre simple et encourageant pour les exportateurs. Il note qu’une mesure a été prise pour augmenter le budget alloué au Fonds de développement des exportations (Foprodex), actuellement à 40 MDT pour doubler en 2019 et atteindre 200 MDT en 2020. Concernant les négociations sur l’Accord de libre échange-complet et approfondi (Aleca), le ministre a affirmé qu’il constitue une opportunité pour la Tunisie pour profiter de l’ouverture du marché. “Mais pour pouvoir le faire, il faut une étape de transition pour préparer cette ouverture surtout pour le secteur agricole et les services. La question de la mobilité des personnes est aussi très importante et doit être négociée convenablement pour faciliter les échanges de part et d’autre. L’Aleca nous permettra aussi de demander des fonds supplémentaires et d’avoir aussi des quotas supplémentaires pour l’exportation de certains produits très demandés comme l’huile d’olive”, précise-t-il.
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